En unité de soins intensifs et en période post-opératoire, le recours aux opioïdes est courant, et les patients en reçoivent souvent après de simples interventions chirurgicales. Bien qu'efficaces pour soulager rapidement la douleur, recourir exclusivement à des opioïdes se révèle risqué du fait de leurs effets secondaires (dépression respiratoire, suppression du réflexe de la toux, confusion, somnolence, nausées, vomissements et dépendance potentielle).

Les médecins qui exercent en unités de soins intensifs élaborent des stratégies plus efficaces afin de gérer la douleur des patients tout en minimisant les risques. Dans un article du journal ICU Management and Practice, le Dr Xavier Capdevila, Chef du service d'anesthésie et de soins intensifs du CHU Lapeyronie, en France, présente le concept d'analgésie multimodale comme une alternative à la seule administration d'opiacés aux patients.

Approche de l'analgésie multimodale

  • En unité de soins intensifs, les stratégies d'analgésie multimodale incluent les suivantes : 
  • Combinaison d'analgésiques non-opioïdes, par exemple anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et opioïdes (à faible dose), chaque fois que possible 
  • Prescription de la dose efficace la plus faible possible d'un opioïde afin de limiter les risques de dépendance 
  • Recours à l'analgo-sédation, ou utilisation de l'analgésie avant administration de produits sédatifs
  • Recours à la sédation légère plutôt qu'à la sédation profonde autant que possible
  • Combinaison d'anesthésie locorégionale et épidurale et d'analgo-sédation

Traitements non opioïdes

Le Dr Capdevila relève que, dans de nombreux cas, l'emploi de médicaments non opiacés est préférable pour le patient. Combiner ces analgésiques permet aux médecins d'administrer au final des doses plus faibles, qui viennent à leur tour réduire le nombre d'effets secondaires. En conclusion, l'analgésie multimodale est à même de réduire les douleurs post-opératoires (Jin et Chung 2001).

Analgésie avant sédation

L'analgésie multimodale réduit également la sédation totale nécessaire. La pratique de l'analgo-sédation en unité de soins intensifs (analgésie avant sédation) devient de plus en plus courante. Une étude a déjà démontré que les patients qui reçoivent plus de fentanyl et moins de benzodiazépine, ou plus de dexmedetomidine et moins de propofol, ont besoin d'une sédation plus légère (Faust et al. 2016).

Une étude française a démontré que l'utilisation de l'analgésie multimodale pour les patients sous ventilation mécanique réduit la sédation et les états confusionnels tout en évitant le recours aux opiacés. Les patients qui bénéficient de l'analgésie multimodale sont également moins susceptibles de présenter des défaillances organiques que ceux qui sont uniquement traités aux opioïdes (Payen et al. 2013). Dans le cadre de l'approche de l'analgésie multimodale, la dexmédétomidine, deuxième antagoniste alpha et puissant anxiolytique, est un autre médicament que les médecins doivent envisager en soins intensifs. La dexmédétomidine a montré que, par rapport au midazolam, elle limitait la durée de la ventilation mécanique (Jakob et al. 2012). Le Dr Capdevila souligne toutefois que, pour pouvoir comparer les avantages de ce médicament et ses effets secondaires, des études complémentaires restent nécessaires.

Anesthésie locorégionale et épidurale

Une étude publiée dans la revue Anesthesia and Analgesia a pu comparer des patients souffrant d'un blocage paravertébral avec fractures de plusieurs côtes et uniquement traités par la sédation et les opioïdes, à des patients similaires mais traités également par anesthésie locorégionale. La récupération du dernier groupe ayant reçu moins d'opioïdes s'est révèlée plus optimale. La combinaison d'agents sédatifs avec opiacés et de l'anesthésie locorégionale améliore le processus de guérison des patients pendant la période post-opératoire (Malekpour et al. 2017).

L'ajout de l'anesthésie péridurale à l'anesthésie générale est également associé à une meilleure survie à long terme. Une étude publiée dans le journal médical JAMA Surgery a analysé des patients opérés pour un anévrisme de l'aorte abdominale. Les patients ayant bénéficié d'une péridurale ont eu moins de complications que les patients exclusivement traités par analgo-sédation (Bardia et al. 2016). Les données cliniques démontrent que l'analgésie péridurale permet de réduire le taux de mortalité, les complications et le taux de morbidité après une chirurgie. L'anesthésie péridurale limite également le recours aux opiacés, donc réduit les complications associées aux opioïdes (Pöpping et al. 2014).

L'application correcte de l'analgésie multimodale permet aux médecins des unités de soins intensifs de traiter efficacement la douleur des patients, tout en limitant le recours aux opioïdes et à la sédation profonde. Le Dr Capdevila conclut que l'analgésie multimodale optimise la gestion de la douleur et réduit les risques de dysfonction organique, tout en améliorant le taux de mortalité à long terme des patients après une intervention chirurgicale majeure. 

Références 

Bardia A, Sood A, Mahmood F, Orhurhu V, Mueller A, Montealegre-Gallegos M, Shnider MR, Ultee KH, Schermerhorn ML, Matyal R et al. (2016). Combined Epidural-General Anesthesia vs. General Anesthesia Alone for Elective Abdominal Aortic Aneurysm Repair: JAMA Surgery, 151(12):1116-1123. 

Capdevila, X. (2019, Printemps). Pain management through multimodal analgesia in the ICU: ICU Management and Practice, Volume 19, Issue 1. Extrait de https://healthmanagement.org/uploads/article_attachment/icu-v19-i1-xavier-capdevila-pain-management-through-multimodal-analgesia-in-the-icu.pdf (VI-VIII). 

Faust AC, Rajan P, Sheperd LA, Alvarez CA, McCorstin P, Doebele RL et al. (2016). Impact of an Analgesia-Based Sedation Protocol on Mechanically Ventilated Patients in a Medical Intensive Care Unit: Anesthesia Analgesia, 123(4):903-9.

Jakob et al. (2012). Dexmedetomidine vs. midazolam or propofol for sedation during prolonged mechanical ventilation: two randomized controlled trials: JAMA, 307(11):1151-60. 

Jin F et Chung F (2001). Multimodal Analgesia for Postoperative Pain Control: Journal of Clinical Anesthesia, 13:524- 539. 

Malekpour M, Hashmi A, Dove J, Torres D, Wild J et al. (2017). Analgesic choice in management of rib fractures: paravertebral block or epidural analgesia?: Anesthesia and Analgesia, 124:1906-11. 

Payen JF, Genty C, Mimoz O, Mantz J, Bosson JL, Chanques G et al. (2013). Prescribing non-opioids in mechanically ventilated critically ill patients: Journal of Critical Care, 28(4):534.e7-12. 

Pöpping DM, Elia N, Van Aken HK, Marret E, Schug SA, Kranke P, Wenk M, Tramèr MR et al. (2014). Impact of epidural analgesia on mortality and morbidity after surgery: systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials: Annals of Surgery, 259(6):1056-67.