Pour la suite de notre série d'entretiens consacrée aux médecins qui travaillent en première ligne de la pandémie de COVID-19, le Dr Diku Mandavia, docteur en médecine et directeur des affaires médicales chez Sonosite, s'est entretenu avec le Dr Justin Kirk-Bayley, de Guildford, en Angleterre, à propos de son expérience dans la lutte contre le coronavirus. Vous pouvez retrouver une vidéo de l'interview sur notre page de ressources autour du COVID-19.
Dr Mandavia :
Comme vous le savez sans doute, l'épidémie qui nous touche en ce moment sévit partout dans le monde, et nous essayons de recueillir des témoignages venus de toute la planète. La pandémie continue de se propager dans le monde : on recense aujourd'hui environ 2,7 millions de cas et près de 200 000 décès. Aujourd'hui, nous nous entretenons avec le Dr Justin Kirk-Bayley, anesthésiste et consultant en soins intensifs à Guildford, en Angleterre. Il est venu nous partager son point de vue et son expérience de la crise du COVID-19. Justin, bienvenue et merci de nous avoir rejoints sur Sonosite.
Dr Kirk-Bayley :
Merci beaucoup de m'avoir invité et donné l'opportunité d'échanger avec vous.
Dr Mandavia :
Justin, pourquoi ne pas commencer par nous présenter votre travail et votre carrière ?
Dr Kirk-Bayley :
Comme vous l'avez mentionné, je travaille à Guildford, dans le sud de l'Angleterre, entre Londres et la côte sud du pays. J'opère dans un hôpital général de district, autrement dit un établissement de taille moyenne ou petite, disposant d'environ 500 lits et d'une unité de soins intensifs. Notre unité est légèrement plus grande que la moyenne : nous disposons de 24 lits, car l'hôpital est un centre d'oncologie majeur. En ce moment, je suis au front de la lutte contre le COVID-19. Cela dure depuis environ 4 semaines. Une telle situation implique beaucoup d'organisation, mais après trois ou quatre semaines, nous avons l'expérience nécessaire pour bien la gérer. Tout comme le profil de nos patients, nos pratiques ont changé. Il ne nous reste plus qu'à attendre que les chiffres changent aussi, et que l'afflux de patients diminue.
Dr Mandavia :
À ce propos, dites-m'en plus sur les changements qu'a connus votre hôpital. Avez-vous déjà subi le pic de la pandémie, ou est-il prévu pour bientôt ?
Dr Kirk-Bayley :
Le pic de la pandémie est déjà passé pour nous. Nous avons atteint un maximum de 20 patients en soins intensifs, et nous en comptons 15 à 16 en ce moment. Le plus impressionnant, c'est la façon dont mon hôpital a changé : il est méconnaissable. Si vous m'aviez dit il y a un an qu'il ressemblerait à cela, je ne vous aurais sûrement pas cru. J'aurais pu vous croire si vous m'aviez dit qu'une épidémie allait éclater. Mais pas si vous m'aviez décrit l'ampleur de son impact sur notre travail au quotidien, notre environnement, notre pratique de la médecine, ou même sur les procédures opératoires générales et notre façon d'évoluer dans l'hôpital jour après jour. C'est à des kilomètres de tout ce que j'aurais pu imaginer. Nous avons complètement vidé l'hôpital. Seules les opérations essentielles et vitales sont encore prises en charge. Nous avons tout suspendu, à l'exception des opérations de chirurgie oncologique urgentes. Par exemple, toute intervention orthopédique en dehors du cadre traumatologique a été annulée. Les bosses, les protubérances... Tout ça a temporairement disparu. Ainsi, quasiment tous les patients que nous soignons désormais en soins intensifs souffrent du COVID-19. À une certaine période, certains patients n'étaient peut-être pas affectés, mais ce n'est plus le cas depuis au moins deux semaines. Les seuls patients qui ne souffrent pas du coronavirus sont ceux en convalescence en soins intensifs post-opératoires, car nous les examinons avant leur opération de chirurgie oncologique. Tous les autres patients sont malheureusement infectés.
Dr Mandavia :
On peut vraiment parler d'une situation accablante. Quand je parle avec des médecins, où qu'ils se trouvent, le même problème est soulevé : un manque cruel de ressources, qu'il s'agisse d'EPI, de lits en soins intensifs ou de respirateurs. Ce problème vous touche-t-il aussi ?
Dr Kirk-Bayley :
Jusque-là, nous avons eu beaucoup de chance, car nous n'avons connu aucune pénurie grave d'EPI ou de respirateurs, mais nous savons très bien que nous sommes sans arrêt sur la corde raide. Plus d'une fois, nous avons dû nous contenter du strict minimum ou nous passer de certaines ressources. Il se peut que nous arrivions un matin pour trouver une livraison d'EPI alors que nos réserves étaient épuisées la veille. Nous avons tenté de mettre quelques patients sous respirateurs d'anesthésie dans le cadre de notre plan de développement, mais nous sommes maintenant retournés à nos respirateurs habituels. Nous nous tournons également vers de nouveaux traitements faisant appel à l'hémodiafiltration et à la thérapie de remplacement rénal. Un autre problème qui pèse toujours sur notre hôpital, et que je côtoie de très près, est celui du manque de médicaments. En effet, les réserves habituelles de sédatifs et de liquide de remplacement du service de soins intensifs s'épuisent très rapidement. Dans le cas du liquide de remplacement, nous n'avons pas d'autre choix que de prendre des décisions en fonction de la situation. Mais pour ce qui est des médicaments, nous sommes sans arrêt dans l'incertitude : nous ne savons pas quand nous viendrons à en manquer, ni même qui pourra nous en fournir. Heureusement, au quotidien, les infirmiers, les infirmières, les internes et tout le reste du personnel médical ne se doutent pas de l'ampleur de la situation. Quand ils viennent travailler, la seule incertitude pour eux se résume à la couleur de leur EPI. Ils s'estiment heureux d'avoir de quoi se protéger.
Dr Mandavia :
Dites-m'en plus sur le taux de morbidité et de mortalité que vous rencontrez dans votre région et dans tout le Royaume-Uni.
Dr Kirk-Bayley :
À l'échelle locale, je peux vous dire qu'il existe de légères différences dans la façon de gérer les services. Et c'est loin d'être un secret. Au Royaume-Uni, il a été décidé que nous allions suivre certaines recommandations venues d'Italie. Autrement dit, le seuil de tolérance avant intubation serait très bas.
Dans les régions métropolitaines, où la flambée de l'épidémie est arrivée plus tôt, on a ainsi vu des hôpitaux intuber des patients à un taux d'oxygène d'environ 40 %. Mais il s'est vite avéré que cela épuisait rapidement les ressources ; il a fallu repenser les traitements. Quand nous avons vu cela, nous nous sommes rassemblés entre médecins en soins intensifs afin de déterminer la meilleure approche à adopter, en envisageant la ventilation non invasive, notamment la CPAP. Nous souhaitions ainsi minimiser le risque de propagation aérienne du virus. Pour y parvenir, l'idéal était de déplacer les patients les plus malades en soins intensifs, afin de nous concentrer sur les personnes qui en avaient le plus besoin. En comparaison, nous traitons d'ordinaire 3 à 4 patients sous CPAP en soins intensifs. Ensuite, il nous fallait également collaborer étroitement avec les médecins en soins aigus à l'extérieur de l'hôpital, et leur offrir notre soutien et notre expérience en termes de CPAP.
Ils ont vite appliqué nos conseils, ce qui est vraiment formidable. Pour l'hôpital, en termes de dépenses, cela a permis de traiter certains patients sans avoir à les transférer en soins intensifs. Grâce à la CPAP, ils se sont rétablis dans le service de soins aigus, avant de rentrer chez eux. On peut vraiment dire que les patients admis en soins intensifs sont ceux dans l'état le plus grave que mes collègues et moi-même avons observé. Nous avons tous déjà fait l'expérience d'un patient vraiment malade ou de ces cas critiques particuliers admis en soins intensifs. Or, s'occuper d'un service d'une quinzaine de patients au diagnostic similaire, mais aux problèmes différents, tous en situation critique est une toute autre affaire. Mobiliser chacune de nos pensées pour choisir comment agir et empêcher leur état de se dégrader est vraiment éreintant, tant émotionnellement et psychologiquement que physiquement. De même, une fois qu'un patient est sous respirateur, il faut du temps pour le remettre sur pied, comme partout ailleurs. Nous y parvenons tout de même, petit à petit. Je pense que le nombre de patients rétablis grâce à la ventilation (avec ou sans trachéotomie) se reflète malheureusement dans le taux de mortalité. Nous avons ainsi un taux de guérison faible, mais aussi un faible taux de mortalité.
Dr Mandavia :
Parlez-nous des groupes d'âges que vous observez le plus chez vos patients. Je sais qu'au départ, la majorité des personnes affectées étaient âgées, mais à mesure que le virus s'est répandu, nous l'avons vu toucher des personnes plus jeunes. Qu'avez-vous à dire à ce sujet ?
Dr Kirk-Bayley :
Typiquement, le patient souffrant du COVID-19 est un homme d'âge avancé présentant des comorbidités. La proportion d'hommes parmi les patients est donc bien plus élevée. En revanche, dès qu'un patient admis a plus de 50 ans, la première chose que nous cherchons à savoir, c'est si la personne est sous traitement. Et il s'avère que les patients âgés souffrent presque systématiquement d'hypertension. Nous avons aussi remarqué que leur indice de masse corporel a tendance à être plus élevé. Voilà le profil des personnes les plus touchées par le virus. Cela affecte également l'évolution de leur état. Bien évidemment, plus un patient est âgé, plus il présente de comorbidités. Ses symptômes seront donc plus prononcés, et il a moins de chance de s'en remettre. Pourtant, même un patient jeune peut être difficile à traiter, car nous nous engageons alors dans un véritable contre-la-montre. Nous nous retrouvons dans des situations effarantes : les niveaux de procoagulants incroyables que nous mesurons entraînent un taux de morbidité très élevé, causant par exemple des embolies pulmonaires ; et lorsque les patients sont mis sous filtration rénale, on observe une coagulation rapide des circuits sanguins. Quand nous effectuons un bilan sanguin, les taux de fibrinogène et de produits de dégradation sont généralement inédits. Ensuite, quand nous tentons une héparinisation, il s'avère que certains patients y sont résistants. Voilà le genre de phénomènes que nous rencontrons systématiquement. Cela dit, il ne fait aucun doute que plus le patient est âgé, plus il souffre d'autres pathologies antérieures au coronavirus. La situation est alors critique, et les chances de rémission diminuent.
Dr Mandavia :
Parlez-nous un peu de vos collègues. Comment s'en sortent-ils ? Ont-ils été affectés par cette crise, et de quelle façon ?
Dr Kirk-Bayley :
À l'heure où je vous parle, je pense que mon équipe tient plutôt bien le coup. Pour en revenir à ce que je disais plus tôt, il a bien sûr fallu s'acclimater à certaines conditions éprouvantes, comme le fait de porter des EPI pendant quatre à six heures d'affilée ou le développement du service de soins intensifs pour créer des cohortes isolées selon l'état des patients. Pendant les 10 premiers jours, pas un jour n'a passé sans qu'un collègue ne fonde en larmes ou n'ait besoin d'un moment de solitude. Mais quand j'ai quitté l'hôpital hier, le moral était bon, car cette crise a fait naître un formidable esprit d'équipe. Certains membres du personnel venus d'autres établissements sont les bienvenus sur le terrain, car ils nous apportent un véritable soutien. Ces infirmiers, infirmières, physiothérapeutes et autres professionnels de la santé nous aident constamment à suivre le rythme.
Au Royaume-Uni, nous avons beaucoup de chance : le NHS [National Health Service] est très apprécié. En salle de repos, on trouve des montagnes de chocolats de Pâques, et nos réfrigérateurs sont remplis de smoothies. Les gens nous envoient des produits cosmétiques, des bombes pour le bain, des vêtements et bien plus. Alors, même quand le moral est au plus bas, nous nous sentons quand même valorisés. Certaines personnes nous préparent même à manger. C'est le genre de geste qui rend les choses un peu plus faciles.
Il ne faut pas non plus croire que nous ayons la belle vie. Je crois qu'au cours des 10 derniers jours, j'ai dû passer une heure et demie en salle de repos, et tout ce dont j'avais envie, c'était d'arracher mon masque et de m'en aller. L'infirmière avec laquelle je travaillais en avait encore pour au moins deux heures de travail. Même si le travail est rude, je pense que nous nous sommes adaptés et nous avons changé notre façon de travailler. Nous savons qu'il nous faut tout donner et apprécier chaque moment de répit.
Et bien sûr, le confinement a aussi changé la donne. Quand les gens rentrent chez eux, ils se retrouvent avec leur famille, et leur famille seulement. Ils organisent des visioconférences et des appels sur Zoom, ce genre de choses. La vie a bien changé. En tout cas, le trajet jusqu'au travail est beaucoup plus simple maintenant !
Dr Mandavia :
En effet, c'est un des étranges avantages de cette pandémie. À propos de vos collègues, comme nous le savons, on compte un certain nombre de cas de transmission du virus au personnel médical. Parlez-nous aussi de votre expérience à ce sujet.
Dr Kirk-Bayley :
Cette éventualité nous fait peur, ça ne fait aucun doute. Or, cette peur instaure un certain degré de paranoïa nécessaire et encourage les gens à suivre les recommandations sur le port d'EPI. Il existe un fort risque de transmission par fomites, car le virus se dépose sur toutes les surfaces des chambres où se trouvent les patients. Il faut juste se montrer très prudent lorsque l'on enfile ou enlève son EPI. Dans l'ensemble, nous avons été chanceux dans notre hôpital : nous n'avons recensé qu'une poignée de cas au sein du personnel. Cela dit, l'équipe a dû en payer les conséquences, car il est très difficile de s'occuper d'une personne avec qui on travaille, et qu'on connaît bien. En plus, le doute persiste à chaque fois : est-ce que cette personne l'a contracté à l'hôpital ? Certains de mes collègues ont aussi été touchés par le coronavirus. On ne sait jamais vraiment comment on l'a contracté, si c'est à l'hôpital, au contact d'un patient ou d'un proche. Évidemment, c'est de moins en moins plausible compte tenu du confinement, mais il nous faut toujours sortir faire nos courses ou accomplir d'autres tâches essentielles.
Il s'agit juste d'être très prudent et de continuer à pratiquer la distanciation sociale, même à l'hôpital. Lorsque nous faisons le tour des appareils du service, ou même une table ronde, nous nous répartissons tous dans la pièce afin de garder nos distances. Personne n'a envie de transmettre ce virus à un collègue ou à sa famille. Il existe toujours le risque que ces personnes le transmettent à leur tour à une personne âgée ou à risque, avec laquelle ils vivent.
Dans mon cas, je crois avoir contracté le COVID-19 lorsque la vague a frappé l'Europe pour la première fois. J'étais en vacances à ce moment-là. C'était loin d'être une partie de plaisir. J'en ai parlé à mes collègues, qui sont en pleine forme, tout comme j'ai la chance de l'être. Comme vous pouvez l'imaginez, impossible d'aller travailler dans un tel cas de figure et, bien souvent, on ne peut s'empêcher de se sentir coupable. On ne travaille pas pendant une semaine, voire une dizaine de jours. Et pendant qu'on est malade, on sait très bien que la situation ne s'arrange pas au travail. Tout ce qu'on souhaite, c'est pouvoir retourner au travail au plus vite pour jouer son rôle. C'est pourquoi on est plus que prêt à renfiler la blouse quand on est autorisé à revenir.
Dr Mandavia :
Je suis très heureux de savoir que vous avez surmonté cette épreuve et que vous allez bien. Il faut savoir que vous êtes également spécialiste en échographie point-of-care. Au cœur de cette pandémie, vous travaillez au sein d'un service de soins intensifs saturé par des patients en situation critique, souffrant d'une maladie peu commune. Comment utilisez-vous l'échographie point-of-care pour aider ces patients ?
Dr Kirk-Bayley :
Notre utilisation de l'échographie point-of-care a changé au cours de la pandémie. Nous nous sommes d'abord préparés en rassemblant autant d'informations que possible, notamment en consultant des webinaires proposés par des médecins chinois. Nous avons également suivi les tendances en matière d'échographie point-of-care dans les hôpitaux italiens. Nous nous sommes renseignés sur les diagnostics impliquant les poumons, afin de découvrir les symptômes visibles à l'échocardiographie, le tout afin d'être vraiment prêts. Ainsi, quand la pandémie nous a touchés et que les premiers patients sont arrivés, nous savions qu'il fallait commencer par examiner leurs poumons.
J'ai dû former des personnes sans avoir idée de l'ampleur de ce qui nous attendait. J'ai enseigné les bases de l'anesthésiologie et des soins intensifs à du personnel qui n'y avait pas encore été tout à fait formé, afin que ces personnes puissent évaluer l'impact potentiel du virus sur les poumons au moment du diagnostic. Ensuite, il a fallu penser aux patients qu'il faudrait mettre en décubitus ventral, au risque de consolidations et à toutes les complications que cela pourrait engendrer. J'ai aussi abordé les manifestations des conséquences cardiaques du virus. À mon avis, s'il y a une chose à retenir de cette pandémie, c'est que 2020 aura été l'année du côté droit du cœur. En effet, la quasi-totalité des patients souffrant du COVID-19 présentent les mêmes lignes B et un syndrome alvéolo-interstitiel.
De même, on observe chez la plupart des patients sous respirateur la formation systématique d'une fibrose, qui s'exprime également par des lignes B à l'échographie pulmonaire. S'il y a une chose que nous avons commencé à étudier de près avec cette pandémie (à ce sujet, je me souviens très bien avoir récemment passé une heure et demie à en discuter avec un collègue au chevet d'un patient), ce sont les interactions cardiopulmonaires. Il s'agit de trouver l'équilibre entre ventilation optimale et impact minimal sur la circulation sanguine. J'ai ainsi demandé à un collègue d'effectuer quelques ajustements à l'aide d'un respirateur tandis que j'effectuais l'échographie cardiaque d'un patient. On pouvait clairement y voir l'impact sur le côté droit du cœur et le remplissage du ventricule gauche. Dans les cas où la santé des patients se dégrade rapidement, nous avons également procédé au suivi de ces interactions, ce qui peut s'avérer difficile sachant que les patients sont déjà sous respirateur. Les signes pulmonaires sont omniprésents et la visualisation correcte du cœur à l'échographie est compliquée. En tout cas, au fil de la pandémie, nous avons continué à utiliser l'échographie point-of-care, même si nous nous concentrons sur un objectif différent. Il n'en reste pas moins que l'échographie est toujours aussi efficace, car elle permet de remarquer des éléments invisibles sur des ondes ou à la palpation du patient, ce qui est d'autant plus difficile lorsqu'on porte plusieurs couches de gants et de blouses. Rien que pour les résultats visuels de la physiologie du patient qu'elle nous permet d'obtenir, l'échographie point-of-care est toujours aussi utile.
Dr Mandavia :
Quelle est votre expérience de la thromboembolie chez ces patients ? Utilisez-vous aussi l'échographie dans ce cas ?
Dr Kirk-Bayley :
Nous avons constaté un grand nombre de cas de thrombose veineuse profonde chez les patients. Grâce à l'échographie point-of-care, le diagnostic de cette pathologie est rapide. Nous pouvons ainsi administrer des anticoagulants aux patients le plus tôt possible. Lorsqu'ils présentent des défaillances de plusieurs organes, autrement dit une insuffisance rénale, un dysfonctionnement cardiaque et la défaillance restrictive qui les accompagne, mais aussi un fort taux de fibrinogène, il faut mettre dans la balance tant les risques que les avantages de ces médicaments. C'est pourquoi nous avons décidé d'opter pour l'administration raisonnable d'un anticoagulant systémique le plus tôt possible. Malgré tout, nous avons constaté que l'échographie mettait en évidence les signes indéniables d'une thromboembolie.
En effet, chez les patients qui n'ont pas forcément eu une ventilation difficile, nous avons noté que, dans le cas de la pneumonie associée au COVID-19, la compliance pulmonaire semble être conservée. Comme on n'observe aucune pression intrathoracique conséquente, on peut déterminer que la pression exercée sur la partie droite du cœur correspond à celle causée par des taux élevés de régurgitation tricuspidienne. Pour autant, le ventricule droit n'est pas en forme.
Aussi, dans le cas des patients dont l'insuffisance rénale vient tout juste de se déclarer, nous examinons leur niveau d'hydratation afin de nous assurer que le déficit hydrique est bien compensé, car les patients souffrent d'une fièvre intense qui s'est déclarée lors de leur admission chez nous, ou même avant cela. Nous gardons aussi un œil sur les reins afin de veiller à ce que l'insuffisance rénale ne soit pas causée par une autre pathologie inattendue, qui pourrait engendrer une hydronéphrose ou d'autres symptômes standards. Grâce à l'échographie point-of-care, nous pouvons nous concentrer sur de nouveaux outils diagnostiques, comme les vecteurs et le flux sanguin dans les veines rénales. Nous avons ainsi remarqué que le flux sanguin dans cette zone n'était pas idéal.
C'est un outil que j'utilise régulièrement. Je n'en ai pas beaucoup discuté avec mes collègues de l'hôpital, car peu d'entre eux possèdent le même niveau de formation en échographie que moi, mais j'ai échangé avec mes amis dans tout le Royaume-Uni, et il s'est avéré qu'il était difficile de valider nos diagnostics, car les patients ne peuvent pas être déplacés. Dès que vous décidez de les emmener passer un scanner pour une angiographie par tomodensitométrie ou un scanner régional, vous courez le risque de contaminer par aérosolisation les zones de l'hôpital traversées. Tout examen qui peut être effectué au chevet du patient est donc bénéfique. Il est certainement possible de trouver ailleurs dans le corps des signes autres qu'un gros caillot non compressible dans la veine fémorale afin de confirmer la suspicion de coagulopathie.
Dr Mandavia :
Voilà un aperçu complet de vos patients ! On comprend bien l'importance d'une approche systématique de l'échographie du corps entier, telle que vous la décrivez. Souhaitez-vous apporter d'autres précisions à nos spectateurs concernant l'échographie point-of-care ou votre expérience du coronavirus en général ?
Dr Kirk-Bayley :
Je crois que le plus important à comprendre, c'est que si vous n'avez pas encore été touché par le virus, sachez que cela va être rude et qu'il vous faut planifier autant que possible. Tout est bon à mettre en place pour minimiser l'effet de cette maladie, que ce soit sur vos ressources ou votre équipe. Il vous faut comprendre que chaque jour de congé doit être dédié au repos. Faites attention à ne pas vous surmener. Cela vaut aussi pour le reste de vos collègues. Trouvez un équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Ainsi, vous comprendrez qu'en vous rendant au travail, vous serez en plein feu. Vous serez face au virus, dans des conditions défavorables, en train de faire quelque chose dont vous n'avez pas l'habitude. Vous devrez faire de votre mieux pour vous adapter à des contraintes qui ne vous seraient jamais venues à l'esprit auparavant. L'expérience va être exténuante.
Sachez que la situation ne sera pas complètement renversée si votre service de soins intensifs est bien pourvu, notamment d'un système d'échographie point-of-care. Vous devrez tout de même utiliser les outils à votre portée, simplement de manière différente. Ainsi, les compétences que vous avez acquises au fil des ans vont s'avérer extrêmement précieuses : il vous faudra juste les adapter à une nouvelle maladie dont les effets sont encore méconnus. Cette infection se traite sur la durée, et vous verrez que vos différentes compétences trouveront leur utilité à chaque étape du parcours de soins.
Dr Mandavia :
Eh bien, ce fut une conversation très riche. Je suis fasciné d'apprendre comment les médecins à travers le monde font face à cette maladie. Votre expérience contribue réellement à enrichir les connaissances sur le coronavirus. Merci de nous avoir rejoints aujourd'hui, et merci aussi pour votre travail à Guildford. De la part de FUJIFILM Sonosite, je remercie également toute votre équipe. Sur ce, je crois que c'est la fin de cet entretien, merci à vous.
Dr Kirk-Bayley :
Merci beaucoup, ce fut un plaisir d'échanger avec vous aujourd'hui.